Oh Boy!
On m’enfermerait vingt ans avec une feuille et un crayon que je ne trouverais pas une raison de défendre ce film. A la limite, j’entamerais un autodafé. J’y développerais des justifications, tantôt pertinentes, souvent hasardeuses. J’évoquerais par exemple tout le bien que je pensais de ce réalisateur dont je me suis promis de taire le nom, par honte et par respect du passé. J’arguerais ensuite vainement de ma candide curiosité cinéphilique… Mais qu’on me juge sans scrupule : après l’excitation initiale provoquée par le tournage du remake d’Old Boy par un grand cinéaste, mes poils se sont hérissés d’effroi lorsque j’ai découvert sa bande annonce. J’admirais l’original de Park Chan Wook et n’avais aucun, je dis bien aucun doute sur le potentiel de ratage d’un tel projet. Je me suis pourtant déplacé en bus diesel pour trouver une séance dès sa sortie dans l’une des rares salles le diffusant à Paris. Mon avocat pourra toujours évoquer la naïveté, Scorsese ayant réussi son remake d’Internal Affairs. Je plaide coupable et signe ma condamnation. Etant plutôt altruiste, j’opte pour le travail d’intérêt général. « This show has had a single viewer » claironne le méchant à la fin du film. Je vais m’atteler à ne pas (trop) le faire mentir.
Nul besoin qu’un autre quidam se déplace en métro, vélib, ni même à pieds pour tenter l’expérience. Il faut me croire sur parole. Pour faire simple (mais juste) : Old Boy version cet ex-grand réalisateur est une sorte de mauvais épisode de la trilogie du samedi, l’adaptation manquée d’un jeu vidéo violent, un film banal, sans surprise, rejouant de rebondissements type Traque sur Internet[i], mais version commissaire Maigret… Il suffirait d’en décortiquer le scénario pour présenter une leçon de ‘à ne pas faire’ dans les écoles de cinéma. Toutes les trouvailles ingénieuses du film coréen se trouvent ici retournées, abîmées, simplifiées, pour ne pas dire supprimées.
Non, même rémunéré par le distributeur français du film de cet ex-auteur formidable, il ne faut pas se déplacer pour le voir. Encore une fois, je fais preuve d’une extrême générosité en disant cela. Peut-être empêche-je de nombreuses séances ophtalmologistes au malheureux et imprudent cinéphile qui se dit « j’ai la carte UGC/ Gaumont, je peux bien voir un film médiocre ». Old Boy 2014 n’est pas médiocre, ni même mauvais. Le terme exact serait affligeant.
C’est l’histoire d’un commercial égoïste, alcoolique mais sûr de lui qui se fait kidnapper après avoir eu l’inconscience de rejoindre une mystérieuse asiatique sous son parapluie jaune à traits rouges (des traits barrés de prisonnier, bien sûr). Il se réveille dans une chambre d’hôtel où il pense avoir passé la nuit en charmante compagnie. Après avoir pissé un coup, il se rend compte qu’il est séquestré ici. Pendant vingt ans, il déjeunera des raviolis chinois.
Chaque jour de sa captivité, on l’endort au gaz. Une fois, des mains gantées lui prennent son ADN pour le rendre coupable du viol et du meurtre de sa femme qu’il découvre au JT. S’en est trop, il décide de se couper les veines avec le miroir qu’il vient de briser à coups de poings. Ses geôliers l’endorment à nouveau, le pansent, et retirent tout miroir de la chambre (mais ni les lampes, le stylo, la télévision ou tout autre objet potentiellement coupant).
Entre deux cours de fitness, l’Histoire passe à la télé : le sermon officiel de William Jefferson Clinton, George Walter Bush et sa célèbre ‘Mission Accomplished’ en Iraq, l’élection de Barack Hussein Obama, etc. L’émission la plus passionnante s’avère être un talkshow où la fille de notre héro grandit et souhaite pardonner à son père assassin. Il n’en fallait pas plus pour lui redonner espoir. Motivé à sortir d’ici pour retrouver sa fille et tout lui expliquer, il se met à creuser les briques de sa salle de bain (seul lieu sans vidéosurveillance) et lui écrire des centaines de lettres.
S’ensuite sa libération, sa rencontre avec une charmante aide sociale bossant dans on-ne-sait-quelle ONG sympa à but humanitaire, qui se révèlera dans un twist incroyable être sa vraie fille, avec qui il va coucher, celle qu’il voyait à la télévision n’étant qu’une actrice payée par le grand méchant depuis ses 8 ans. Pourquoi l’a-t-on enfermé ? Parce que lorsqu’il était à la fac, Josh Brolin Jr, déjà une bouteille de vodka à la main (caractéristique du personnage 20 ans après rappelons-le) était égoïste, alcoolique mais sûr de lui. Il avait par hasard découvert la sœur du grand méchant en train de se faire prendre par son père dans une serre. Il l’avait répété, ce qui humilia l’incestueuse et déshonora le papa. Blessé dans sa fierté, celui-ci flinguera toute sa famille à coups de fusil à pompe, familial sans doute, avant de s’auto exploser la tête. Manque de pot, son fils, le grand méchant du film, survécu ! Ce dernier fomentera donc tout ce complot machiavélique pour se venger d’un alcoolique égoïste qui aura tout gâché dans sa vie et brisé le bel amour qu’il partageait avec sa sœur (voire même un peu plus, tout ça est par ailleurs très bien explicité par le grand méchant lui-même dans le climax du film).
Comme dans ces films qui montrent que plus un méchant est intelligent plus il est méchant, celui d’Old Boy janvier 2014 (date de péremption) nous est vendu comme un génie ! Il a réussi à rendre œil pour œil (autre caractéristique d’un bon méchant) le mal dont il se dit la victime. Au passage, c’est peut-être la seule idée valable du remake : l’inceste du premier Old Boy était plus de nature frère/ sœur, ce qui rendait la vengeance différente du mal. Puisque c’est un grand méchant intelligent et sophistiqué, il a aussi réussi à changer le nom de la vraie fille du héro, on-ne-sait-comment, il lui a aussi effacé son passé (elle lit quand même les lettres de son père sans se douter que c’est son père), et fait en sorte, grâce au parapluie jaune aux traits rouges, que père et fille tombent amoureux au premier contact ! Une prouesse de grand méchant ou une ignominie scénaristique, au choix.
Quand le héro découvre la vérité (et que le grand méchant se suicide comme son papa), les scénaristes bouchers nous offrent leur plus grand finale. Enrichi par le grand méchant (qui lui offre des millions en diamants lorsqu’il trouve la raison de son enfermement, bien après nous pourtant), l’égoïste alcoolique devenu sobre et généreux décide de protéger sa fille, à qui il avait manqué l’anniversaire de ses cinq ans, en achetant sa captivité définitive. Il retourne ainsi dans cette chambre gardée par on-ne-sait-combien de gardes encore vivants (il les avait semble-t-il tous massacrés à coups de marteau). Le film termine sur son sourire.
Vous avez bien lu : le type est comblé, béat, presque triomphant parce qu’il est enfermé à nouveau.
Le vide précédent est censé permettre la réflexion vis-à-vis de tant de bêtise et représenter la substance à tous niveaux de cette sous version d’Old Boy. En réalité, même le titre est un affront au film de Park Chan Wook tant il n’y a rien de comparable entre les deux films. La musique, tantôt onirique, tantôt éloquente, toujours magistrale d’Old Boy le premier, est remplacée ici par une partition composée sur garage band ou trouvée sur la banque de données d’un vieux Derrick. La lumière et le cadre, époustouflants d’audace dans Old Boy le vrai, se trouvent ici d’une pauvreté sidérante, propre à faire ressusciter Ed Wood.
La mise en scène enfin, éblouissante d’innovation, de virtuosité et de génie chez Old Boy l’unique, donne là envie de dormir, pleurer ou tout simplement sauter du pont.
A peu de lettres près, on obtenait Ong Bak, moins le sensationnel de la boxe thaï. L’idée de chaque scène, d’action ou non, repose sur autant d’invraisemblances que de crétineries. Josh Brolin découvre le fournisseur de raviolis de ses ravisseurs ? Il prend un vélo à une pauvre chinoise et poursuit dans toute la ville le livreur, qui porte un costume de mafieux et roule en 4×4. Dans ce nouveau monde, quid des avancées technologiques ? Josh Brolin ‘glisse pour répondre’, tape pour chercher et effleure pour retrouver une vieille chanson sur Shazaam. Il est vrai que le progrès s’appelle désormais Apple et Google et qu’il est si intuitif qu’un homme ayant raté les vingt dernières années peut s’éviter une séance de rattrapage.
La destruction du chef d’œuvre d’origine est totale. Dès le début nous découvrons le premier méchant (Samuel L Jackson, plus risible encore que lorsqu’ils voyaient des mother fucking snakes on a mother fucking plane[ii]). Le second méchant, le vrai, aura la même peine puisqu’on le découvre dès la sortie du héro de sa prison (en haut d’une tour d’argent, au téléphone avec son ennemi). Outre la raison pour laquelle un réalisateur installé décide de refaire le chef d’œuvre d’un autre, je ne saisis pas celle qui pousse un scénariste hollywoodien averti à en défaire les éléments de base d’une histoire attrayante. La surprise, la découverte, ne sont pas seulement des prétextes à piètres rebondissements ! Attendre ne serait-ce qu’un petit quart d’heure de plus aurait sans aucun doute donné plus de consistance à un grand méchant si caricatural (et c’est un euphémisme).
Le grand méchant est donc une farce et les seconds couteaux des clowns. Serions-nous dans un cirque ? Faisons-nous face à une parodie, plus qu’un remake ? Une fable subversive (l’inceste, nous sommes en 2014) à prendre au second degré ? Je dois avouer avoir fait un rêve la nuit de mon délit. Je riais de ces personnages grossiers qui doivent tout nous raconter pour que l’on suive le récit. Je trouvais hilarant le guignol qui joue le grand méchant lorsqu’il trucide l’ami du héro qui avait traité maladroitement sa sœur de pute. Je me roulais par terre lorsque je voyais tous les gardes de cette prison secrète se battre contre notre héro avec leurs poings, une batte de base ball et un malheureux couteau suisse. Et puis cette surveillance si bien anticipée que même la chambre du motel choisi au hasard par Josh Brolin est filmée et reliée au centre de contrôle du méchant ? Je me suis réveillé. Je me suis demandé naïvement pourquoi était-il aujourd’hui moins choquant de montrer une langue coupée en gros plan qu’une langue vivante sur un pénis ? J’ai allumé mon ordinateur et vagabondé sur une page de news cinéma. Il parait que Spike Lee a pour projet un biopic sur Michael Jordan. Il fut un temps où j’admirais les deux figures. Oh boy…