Clichés d’acier

By matthieu on September 1, 2013 in Points de vue
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Il y a des films qui rassemblent les stars. Sans trop savoir pourquoi (mais un peu quand même), lorsque ces derniers sont des acteurs, nos salles obtiennent fin 2012 Happy New Year,  plus récemment My Movie Project, aujourd’hui Insaisissables.  Je reconnais d’avance frôler l’abus en mêlant celui-ci aux deux autres. Lorsque ce sont des cinéastes et chefs opérateurs, rares sont les cas où l’affichage s’en vante, mais les cinéphiles en reconnaissent l’intérêt. La rencontre du réalisateur David Fincher avec le directeur de la photographie Darius Khondji par exemple nous a, entre autres, offert Seven. Et puis, parfois, des scénarios fédèrent acteurs et auteurs, musiciens et chefs opérateurs, scénaristes et monteurs. Appocalypse  NowPulp FictionHeat et autres chefs d’œuvres se sont bâtis sur de multiples talents, tous extraordinaires et complémentaires les uns des autres.  De nombreux exemples existent aussi en France ou dans d’autres cinémas du monde mais la suite de mon analyse m’impose de me restreindre au cinéma mondialisé, je veux dire hollywoodien.

Au générique du dernier Superman, l’union des compétences est impressionnante. Côté acteurs, c’est un subtil (spoiler : première et dernière utilisation de l’adjectif) mélange d’oscarisés, d’oscarisables et de futurs et peut-être éternels best supporting actors. La nouvelle génération donne la réplique aux anciens combattants, soutenus par ces gueules reconnaissables mais innommables par le spectateur lambda. Côté créateurs, la fine (spoiler : première et dernière utilisation de l’adjectif) fleur d’Hollywood s’associe. Christopher Nolan produit, Zack Snyder réalise et Hans Zimmer compose. En d’autres termes, le réalisateur d’un des plus gros succès réactionnaires de notre époque soutient un collègue aux aspirations visuelles si (d)étonnantes qu’on se demande à chaque film s’il n’a pas raté sa vocation à faire des jeux-vidéos, rejoint lui-même par le soldat très qualifié de la musique cinématographique orchestrale.  Le choc est brutal.

 

Il serait trop facile de railler l’ethnocentrisme américain qui oblige les fins du monde à avoir lieu sur leur sol. D’abord parce que le premier public d’un tel film est américain, ce qui justifie donc de telles œillères par clientélisme. Ensuite, parce que les symboles de l’Amérique sont reconnaissables mondialement. Tout le monde peut s’identifier aux new yorkais recouverts de poussière, d’autant plus après 2001. Mais il faut admettre qu’ici, ils frappent fort. Non seulement les traditionnelles cartes militaires surlignent ostensiblement les frontières américaines (unique cible des terroristes ?), mais pour une fois, le reste du monde est franchement ignoré. Fini les plans sur une tour Eiffel menacée, un Taj Mahal fracassé ou un Kremlin explosé ! Seuls les asiatiques ont droit à leurs secondes de gloire, lorsque le terrible général Zod s’adresse à la planète dans toutes les langues. Les chinois apprécieront surement d’être reconnus par le cinéma américain de la sorte, dans une trop infime image d’un monde en véritable mutation. On notera donc l’absence de trois continents sur cinq et d’environ deux cents nationalités à l’écran face à un ultimatum commun (la disparition de notre Terre). Le danger n’est réel que pour le pays des libertés, puisqu’il représente ce qu’il y a de mieux dans l’humanité et ainsi son meilleur rempart.

Depuis le 11 septembre, l’Amérique semble vouloir se raconter de nouveau son histoire. Elle aimerait même y croire. Le récit serait celui d’un pays sain dans un monde malade, celui du bien contre le mal, d’us vs them. Ce conte est en réalité depuis longtemps merchandisé. L’existence d’un terrorisme anti américain ne date pas de la dernière décennie. La domination à tous niveaux des Etats Unis, leur tendance à régner et à exporter leurs valeurs sur le monde a toujours semé les graines de haines diverses. Dans les blockbusters des années 90 déjà, le cinéma américain offrait son lot de bad arabs[i], après avoir épuisé celui des mauvais soviets. Mais il existe désormais une différence notable. Le coup d’éclat d’Al Qaeda a violemment prouvé aux Etats Unis qu’ils ne sont pas intouchables, que leurs technologies ne les protégeaient pas autant qu’ils ne le pensaient. Mieux que de frapper sur leur sol, les con(s)frères de Ben Landen ont détruit, l’espace d’une journée, le mythe de la toute-puissance américaine.

Que reste-t-il à nos valeureux défenseurs du monde libre ? Leur courage et leurs valeurs. Puisqu’ils détruisent nos tours, nous en feront de plus grandes. Puisqu’ils pensent nous diviser, nous nous uniront. Puisqu’ils nous attaquent, nous les décimerons. S’en suit de touchantes images de solidarité new yorkaise, mais aussi malheureusement deux guerres et une loi pernicieuse (le Patriot Act). A l’heure des grandes désillusions de notre temps, le constat est terrible. D’une part, l’Amérique continue de croire qu’elle peut décider de tout et se comporter comme le maître du monde. A ce titre, en plus de décevoir, le président Obama scandalise avec les écoutes de la NSA. D’autre part, son cinéma le plus visible perpétue une exportation musclée de valeurs très conservatrices à travers le monde. Il n’y a qu’à regarder l’état idéologique des films classés démocrates par la presse états-unienne pour comprendre vers quel côté le curseur politique penche. Argo fut l’un d’eux, salué par la gauche du cinéma américain (les bobos hollywoodiens)alors même qu’il constitue une narration manichéenne de plus, relatant très subjectivement l’héroïsme d’un homme pendant la crise des otages en Iran.  Aucun questionnement moral sur le rôle des Etats Unis dans la révolution iranienne, contrairement à ce que le prologue puisse faire penser. La défaite intellectuelle d’une gauche américaine progressiste est sans appel.


On reconnaîtra cependant à Man of Steel le mérite de ne pas être hypocrite. Mis à part quelques répliques un peu ironiques permettant un plus large brassage du public, ses auteurs n’ont jamais défendu de ligne libérale (au sens américain). Mais le propos devient dangereux lorsqu’il se prétend universel. Le débat est déjà vieux comme les Nations Unies. A l’époque de sa création, les vainqueurs de l’horreur nazie (et pas que) cherchent une définition commune des droits universels. Difficile de ne pas approuver tous ces concepts : droit à la vie, à la sécurité de sa personne, à la liberté de pensée, à la liberté d’expression… Mais un point passe inaperçu dans les livres d’Histoire : le droit à la propriété. Concept très occidental, voire par essence américain, est-il universel ? Ceci étant établi (ou tranché, c’est selon), l’Amérique a conservé une propension formidable à croire ses valeurs universelles. Et dans le cas du dernier Superman, celles-ci sont très conservatrices.

Man of Steel nous dépeint un monde binaire avec des méchants qui ont franchement de sales gueules (quand ils ne sont pas dangereusement sexy) et un héros juste, droit et lisse, comme sa peau maquillée et son corps bétonné. La menace vient de l’extérieur et se présente comme le progrès (« Evolution always wins »).Notons qu’un democrat américain est aussi appelé progressist. Heureusement, le plus américain des américains (puisqu’il vient du Kansas nous dit-il !) empêchera le monde de se retourner, sauvera sa maman, qui comme toutes les mamans est irremplaçable, et continuera ses miracles incognito (ou presque) dans la population. Au cas où vous n’auriez pas saisi l’idée : l’héroïsme dans l’ombre est beaucoup plus vertueux, même après tant d’étalage. Entre temps, passages obligés, il aura fallu sauver le chien familial d’une énorme tornade, défendre une serveuse à qui un client teigneux met la main aux fesses, encourager le gros roux (je propose l’appellation ‘groux’) à croire en lui et bien sûr trouver l’amour.

Signe d’un conservatisme assumé et radical : le fond du problème de Krypton serait de prédéterminer l’avenir de ses enfants. Les devenirs proposés ne sont pas remis en cause. Russell Obi Wan Crowe les énonce laconiquement : guerrier, chef, leader… C’est leur capacité de libre arbitre qui gêne nos libertaires ! Hors, la mission de Kal, notre homme Espoir (c’est écrit sur son Tshirt), est limpide, quelque soit son avis. Il doit tous nous sauver, quelque soit notre avis. Liberté encore, avec cet ultime private joke : Superman détruisant un drone. Le gouvernement fédéral peut surveiller le monde, puisque la liberté a un prix, mais pas le citoyen américain, encore moins Supericain. Edward Snowden peut aller se coucher.

Et le voilà donc parti notre nouveau Christ, les bras en croix, pour son ultime saut dans le vide. Il fallait un nouveau Messie, de préférence blanc, pro life, antigay, et parlant anglais pour mettre de l’ordre sur Terre. L’autre était trop palestinien pour être honnête et semble-t-il pacifiste. C’est chose faite avec Superman, pratiquement auréolé dans un plan un peu lourdaud qui le met visuellement à égalité avec Jésus dans la paroisse locale. Who’s in charge now ?

La question maintenant est de comprendre qui prend encore plaisir aujourd’hui à avaler ces cachets idéologiques pendant deux heures et demie dans une salle obscure ? Comment cela peut-il encore fonctionner sur un public de plus en plus cinéphile et de plus en plus informé ? La réponse se trouve peut-être dans l’habilité de ses créateurs.

Il est vrai qu’on atteint là un formatage de scénario à en faire pâlir la plus réticente des clés USB. Depuis l’invention du récit, ce type de narration et ses règles demeurent inchangés. Le film rejoint aussi ses innombrables semblables au lexique de l’Histoire de la Bible (sans cesse) reracontée. J’aurais au passage préféré une nouvelle histoire de la bible réinterprétée.

Mais les producteurs milliardaires sont des personnes intelligentes (sinon ils ne seraient pas milliardaires). Ils prescrivent au héros de souffrir et de douter, deux éléments qui constituent aujourd’hui la base de tout succès. C’est le nouveau modernisme : un héros en proie aux mêmes questionnements existentiels que l’individu lambda. Ici, les enfants adoptés seront bouleversés par Kal, qui vient d’ailleurs et a su s’intégrer dans la société américaine.

Bien sûr, le doute est bien identifié et n’est que passager. « Tout le monde va me haïr si je continue de sauver tout le monde ». C’est, à peine caricaturée, la stupide problématique qui s’impose à notre héros. Parce qu’il ne faut pas trop remuer les certitudes scientifiques, cela perturberait trop la population. Papa Costner préfèrera d’ailleurs mourir aux yeux de tous plutôt que de laisser son fils montrer ses dons aux cinquante péquenots bloqués sur une autoroute. Passons…


Le côté agaçant d’être pris pour un imbécile se révèle possiblement une des grandes aptitudes commerciales du film. Pour quelqu’un qui sort de sa journée de boulot, il devient agréable de se laisser porter et séduisant de tout comprendre aux enjeux du film. Sur ce point, le film est un triomphe. Tout est explicité de manière animée. On a le droit aux éternelles discussions scientifiques à trois personnages : la soldate moyenne qui pose les questions du spectateur moyen, l’homme de science qui y répond (puisqu’il sait tout) et le commandant qui simplifie le discours, voire termine les phrases pour dynamiser la scène. C’est reposant. On nous vend des discussions complexes sur le plan technologique et philosophique et on comprend tout ! Force est de constater que les scénaristes n’auront aucun mal à se reconvertir dans l’édition d’instructions de jeux pour 5 à 8 ans.

A ces réussites mercatiques s’ajoute le talent du réalisateur pour également donner l’impression de modernisme : caméra tremblante lorsque Superman vole, zooms ostentatoires, monde désaturé et contrasté, tout y est. Malheureusement pour lui, et pour ses spectateurs, le style ne s’invente pas et la grâce ne s’obtient pas par une équation d’effets. D’ailleurs, les effets sont horrifiants d’excès. Les explosions se surenchèrent, comme dans un mauvais Michael Bay, mais en numérique. Les SFX polluent l’image au point qu’ils vieillissent déjà pendant le film.  Le mixage sonore, quand il ne provoque pas de nausée, violente nos pauvres oreilles au point de devoir se les protéger pendant les combats. Et n’oublions pas Hans Zimmer, avec ses symphonies militaro-romantico-impérieuses, qui nous indiquent quoi penser et à quel moment (parfois même en avance !).

« Make the world smaller » conseille sa maman adoptive au jeune Clark Kent. Et c’est ce qu’ils ont fait. Les personnages, qu’importe leurs niveaux social, leur activité, leur rôle dans les événements, se rencontrent ou se connaissent tous ! Les distances sont supprimées, tant notre Superman vole vite et voit loin. Et bien sûr, les extraterrestres de Krypton parlent anglais, même s’il est vrai qu’ils écrivent avec des symboles nous rappelant d’anciennes civilisations comme l’Egypte. Un symbole en forme de S qui voudrait dire espoir, notamment…

Alors, j’essaie de le garder, l’espoir. Je me dis qu’au bout du compte, certains cinéphiles se consoleront sur les quelques plaisanteries volontaires (« looks like an S (ass) ») et involontaires (le not alone sur les écrans, manque plus qu’Halle Berry). Et puis, je repense à un passage qui a éveillé mon intérêt. Alors que Superman se rend aux forces de Zod, l’officière bien roulée en charge du transfert demande aux militaires américains de livrer Loïs (pourquoi ? ça, on ne le saura pas !). Le commandant en chef semble enclin à offrir la journaliste mais le colonel s’y oppose. “Does it mean I have to tell Zod that you decline to comply ?” lance-t-elle, provocatrice. “I don’t care what you’ll tell him” répond-t-il. Cet héroïsme, bien plus valeureux que celui d’un surhomme aux surpouvoirs, m’a rappelé les justes.  C’est le seul moment où j’ai ressenti une tension et où, si ce colonel se faisait descendre, ce qui était très plausible à ce moment-là, j’aurais été touché moi aussi. Car il fallait un réel courage pour s’opposer à cet ennemi amoral et dominateur de cette manière. Du vrai héroïsme en somme, sans arrière-pensée idéologique.

Et puis, ces vaisseaux colonisateurs, ils ressemblent fortement à des puits de fracturation hydraulique, non ? Krypton, gaz de Schiste, même combat ? Je m’égare…

Kal revient chez sa mère. Il déteste que l’on menace sa maman. Après trois climax (Superman contre un géant de deux mètres sorti d’on ne sait où, Superman contre des tentacules en métal sorties d’on ne sait où, et Superman contre SuperZod doté des mêmes pouvoirs, la morale en moins), il rentre à la maison. Heureusement, sa maman est saine et sauve et ses photos de famille en parfait état. Le monde peut se remettre à tourner, comme avant.

 



[i] Lire Reel bad arabs, Jack Shaheen

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