Réconciliation avec le Passé

By matthieu on June 5, 2013 in Points de vue
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Difficile pour un cinéaste aujourd’hui d’être cohérent. Il faut dire, la critique a ce don de compliquer les choses. Elle se tripote sur la signification métaphysique d’un flare dans Tree of Life pour en réprouver l’effet de style dans A la merveille (très peu défendu si ce n’est par Positif). Le public n’est pas en reste, acclamant un jour l’universalisme d’Une Séparation, pour bouder la ‘simplicité’ du Passé.

Cette simplicité m’apparait pourtant comme l’un des plus beaux talents d’Asghar Farhadi, cinéaste cohérent de surcroît. La simplicité n’équivaut pas simplification, terme qui à force d’être honni dans mes commentaires en deviendra sur ce site un hashtag. La simplicité de l’auteur signifie ici justesse et sincérité. Paradoxalement, elle résulte d’un travail de grande complexité et d’une conscience aigüe de la multiplicité de l’être humain. Ce sont des gestes quotidiens qui embrouillent des situations ordinaires.  Ce sont des situations quotidiennes qui compliquent les comportements. Le présent demeure simple en apparence mais le passé toujours plus alambiqué. C’est comme si le spectateur devenait détective du film et de sa propre vie (puisqu’il lui fait autant écho qu’aux personnages). Dès lors, simple signifie ici universel.

Peut-être même plus que sur Une Séparation, où l’atmosphère locale rendait les conflits plus acérés, le scénario du Passé rend compte avec une extrême précision des complications du couple, de la famille et plus généralement de la communication entre êtres humains (de même nationalité ou pas). C’est un film sur les non-dits débordant de dialogues ! Les informations sont ensemencées ici et là, comme de micro graines donnant à récolter de jolis fruits. D’ailleurs, toutes les informations sont indispensables et pourtant semblent naturelles. On ne se demande jamais pourquoi tel personnage dit ceci, ni pourquoi le dit-il de cette manière. En revanche, on se souvient de chaque geste ou chaque parole qui plusieurs scènes après engendre des conséquences (souvent terribles).

Ainsi, une nouvelle fois, Farhadi nous offre une leçon scénaristique. En prime, il se permet de l’associer à une leçon de mise-en-scène. Là où certains filmeraient du pathos, il capte la dure réalité des sentiments. Son cinéma ne tombe jamais dans l’artifice. C’est du réalisme au sens le plus noble et viscéral.

 

J’ai entendu ici et là que Cannes aurait attribué une palme au Passé pour combler les dernières décennies d’oubli d’un cinéaste majeur. C’est peu faire honneur aux sensibilités du jury. Pourtant, c’est bien là que le cinéma est épatant et si universel : Steven Spielberg pleurant devant un film d’auteur apparemment intimiste, bavard et esthétiquement rudimentaire… Cette supposition est aussi un affront à la principale intéressée.  Bérénice Béjo en ferait trop, ou pas assez ! Mais pourquoi limiter les prix d’interprétations aux rôles de composition ? Faut-il se métamorphoser en une personnalité passée, perdre vingt kilos ou apprendre le clavecin en dix jours pour que l’on reconnaisse la justesse de son interprétation ? Je ne le pense pas, ni l’espère. Béjo n’est pas dans la démesure : une femme qui crie, qui plus est dans une situation délicate, est affaire commune dans la réalité (tout comme un homme). Elle n’est pas non plus dans le retrait, puisque son rôle ne lui demande pas de l’être. Elle joue une partition. Elle interprète un personnage, ce que finalement on demande à un comédien. Elle est.

En lui décernant ce prix, le jury a su conforter le choix de la simplicité. Celui d’une comédienne talentueuse et d’un grand cinéaste. Celui d’un cinéma juste, ou juste d’un beau cinéma.

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