Terre promise, terre due

By matthieu on May 5, 2013 in Points de vue
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Je n’ai jamais adhéré à l’idée que la fin justifiait les moyens. En politique, l’argument revient trop naturellement pour légitimer des exactions, des compromissions ou des abus de pouvoir. Dans la vie, cela sert au mieux à justifier une ambition égocentrée,  au pire à estimer que son dessein est supérieur au reste et ainsi à le poursuivre impunément.

Je n’ai jamais accepté non plus, et ce blog le prouve, les sur-simplifications ou raccourcis scénaristiques bien commodes. Quand le calcul commercial prime sur la justesse d’un personnage ou l’originalité d’une situation, le film devient un produit de plus dans le grand divertissement hollywoodien (pas que) et le cinéma un outil marketing du secteur culturel.

 

J’aurais dû adorer Promised Land : le sujet me passionne, les acteurs me plaisent et le réalisateur me fascine. J’ai détesté.

Le pitch était prometteur, le résultat est décevant. Au générique, nous découvrons que les auteurs du scénario sont deux des acteurs principaux. On connait le militantisme écologiste de Matt Damon et on aurait pu supposer de son talent de scénariste (Will Hunting). Malheureusement, le scénario suit une logique trop conventionnelle : un honnête homme croit faire le bien dans son travail, se rend compte qu’il se trompe et se confronte à des forces bien plus grandes que lui pour finalement suivre ce que sa conscience lui dicte. Pire, les retournements sont grossiers : l’écologiste efficace contre qui le héros et son équipière doivent lutter se révèle être un faux, envoyé par les grands méchants de l’énergie sale.  A la limite, la structure classique  aurait pu fonctionner et donner un beau film. Les exemples ne manquent pas dans l’histoire du cinéma et, finalement, je savais ce que j’allais voir en entrant dans la salle. Je pourrais aussi accepter de croire à une société malhonnête aux intérêts financiers immensurables qui placerait l’un des siens dans le camp adverse pour s’éviter un obstacle.

En revanche, je déteste être pris pour un abruti. Quand on créé un personnage visiblement surdoué, on ne lui fait pas dire une connerie qui renverse entièrement les rapports de force du film. Le « oups, je me suis démasqué » de John Krasinski à Matt Damon constitue une insulte à l’intelligence de son personnage et in fine à celle du spectateur. Promised Land devient un mauvais film dès lors qu’il perd de sa crédibilité dans le but de faire basculer son personnage principal du ‘bon côté’. La fin justifie les moyens : les personnages disent ce que l’auteur souhaite pour que le film se termine comme il l’imagine. Qu’importe la conclusion puisqu’on n’y croit déjà plus…

 

Reste l’aspect militant. Quel meilleur moment pour réaliser un film sur le gaz de schiste ? Alors que les américains semblent avoir tranché sur le sujet (Obama n’a pas imposé le moratoire demandé par les écologistes américains), le débat n’envahit que depuis récemment l’hexagone. Malgré l’accord PS-EELV, le sujet divise la classe politique et il est envisageable qu’à un moment où l’Etat cherche de l’argent un peu partout (y compris dans la soit disant intouchable culture), le gouvernement décide de revoir sa position sur le sujet. Un film écologiste de cette ampleur, écrit et interprété par le très apprécié Matt Damon, ne pouvait donc être qu’une bonne nouvelle ! Hélas, je crois que l’effet est contre-productif.

Traiter ce thème en opposant les terribles financiers invisibles aux pauvres paysans dont les vaches vont mourir relève d’une schématisation dont j’aurais pu m’accommoder. La fin militante pourrait justifier les moyens artistiques, dans une certaine mesure. Mais, caricaturer les personnages secondaires à des fins partisanes (les paysans bourrus, le flambeur d’un argent qu’il n’a pas encore, la jolie institutrice, etc.) illustre soit une certaine condescendance libérale (au sens américain) soit, pire, un manque de discernement cinématographique.

 

Promised Land manque en fait de finesse. Quitte à caricaturer, pour atteindre la portée politique qu’ils visaient,  les auteurs auraient pu présenter une vision plus radicale et marquée,  offrant aux déjà convaincus matière à s’indigner encore plus, nourrissant l’envie d’activisme et/ ou confortant l’enthousiaste militant. Ou bien, ils prenaient une certaine distance, n’évitant ni la complexité du problème ni la multiplicité des hommes. Le problème est que, sur un piètre scénario, Gus Van Sant réalise un film trop consensuel et peu subtil sur un sujet qui méritait mieux.

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